[RP] Evaluation de Polonius

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Le maître d'arme était prêt, derrière son bureau et attendait patiemment les entretiens.

Il était l'heure. A peu près. Elle s'était pointée tôt le matin, pour découvrir que son nom était le dernier de la liste : En avait donc profité pour dédier le reste de sa journée à quelques corvées et avait échoué dans la bibliothèque, où elle s'entraînait un peu chaque jour à mieux lire et écrire. Et elle s'était donc employé à déchiffrer douloureusement un exemplaire du Livre de la Chasse de Gaston Phébus jusqu'à ce que le clocher le plus proche sonne none. Elle se leva donc, rangea le livre, et fila au dortoir enfiler une cape (plutôt mourir que de se faire remarquer deux fois pour n'avoir pas été assez couverte). Après quoi elle partit faire les cent pas devant la salle d'armes.

Et si elle avait réussi à tromper sa nervosité jusqu'à présent, elle lui revenait maintenant en pleine face. Pourquoi ces évaluations ? Qu'allait-il lui demander ? Allait-il l'affronter en duel ? Allait-il l'interroger sur ce qu'elle avait appris depuis qu'elle était à la Licorne, comme une enfant face à son maître d'école ? Il pourrait sans doute voter pour son renvoi. Et pourquoi ne le ferait-il pas ? Elle n'avait décidément pas le niveau, dans aucun des domaines, comparé à ses camarades. S'était-elle mal conduite ? Oh, pour sûr, il lui ferait une remarque sur l'incident de la cape. Voudraient-ils seulement la garder comme servante ? Et pourquoi diable fallait-il que ça soit lui entre tous qui fasse passer les évaluations ?

Elle finit par s'adosser contre le mur, la tête en flammes, à deux doigts de partir comme une comète pour entrer en orbite autour de la Terre.

Bon. C'était l'heure. Les dés étaient jetés. Elle entra, à son invitation, et s'assit exactement là où il l'avait indiqué, sans oser poser son dos contre le dossier. Et la première question... La déconcerta un peu. Essayait-il de la mettre à l'aise ? Ça en avait tout l'air. Il la tutoyait même. Elle savait que c'était l'usage dans l'ordre, qu'ils étaient censés être tous frères, etc, mais elle répondit :

Merci, ça va. Et vous ?

Elle n'y pouvait rien. Le 'tu' était resté coincé dans sa gorge, car elle était encore figée dans ce schéma pluriséculaire qui fait que les nobles tutoient les gueux, et les gueux vouvoient les nobles.
Et ensuite ? Avait-elle des questions ? Sans doute. Mais elle ne parvenait à penser à une seule d'entre elles.

Non. Pas de question.

Bon. Elle avait écouté. Attentivement.
Donc, les caractéristiques offensives étaient la force et la dextérité. Les défensives, l'endurance et l'agilité. Quarante points à attribuer dans chacune. Elle ferma les yeux. Elle n'avait que peu combattu, c'était compliqué à déterminer. Et puis il y avait le calcul. Dès qu'il y avait deux chiffres ou plus, elle préférait poser ses opérations sur papier, comme le curé lui avait appris. Mais pas de feuille, de plume ou d'encre pour elle. Alors lui restaient ses doigts, elle essaya de faire discrètement. Mais plus elle sentait qu'il la regardait, plus elle sentait sa nervosité remonter, et refluer, comme des vagues se brisant sur une falaise.

Mais enfin, au prix d'un effort certain, et après avoir rouvert les yeux, elle déclara :

20 en force
20 en dextérité
25 en endurance
15 en agilité.

Je crois.

Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait plutôt calé tous ses points en défense, et assez peu en attaque. Elle se sentait plus agile qu'adroite, et pourtant avait mis plus de points dans le second domaine. L'endurance était définitivement son point fort, elle n'était jamais malade, et plus que quiconque habituée aux longues journées de corvées, et à résister aux éléments : La pêche à pieds a ça de bien qu'elle vous forge une bonne femme.

Relevant les yeux vers son vis à vis, elle attendit un verdict, une sentence, quelque chose, en tordant nerveusement des mains dans son giron.

Équilibrée. Bon. Ça lui allait. Elle savait d'avance qu'elle n'était ni une bourrine, ni une experte en finesse. Quant à ne pas pouvoir se spécialiser... C'était un mal ? Ne pourrait-elle pas, à l'usage, choisir l'arme ou l'équipement avec lequel elle se sentait le mieux ?

Elle s'en remit à l'expert, et opina doucement du bonnet. Les nerfs se relâchèrent-ils pour autant ? Certainement pas. Car sa question suivante la remit à nouveau dans l'embarras. Enfin. Ses questions suivantes. Les mains repartirent pour un tour de danse sans qu'elle ne s'en rende même compte. Et finalement Polonius répondit :

Non, je ne sais pas. A vrai dire, avant d'arriver ici, je n'imaginais même pas qu'un chevalier puisse utiliser autre chose qu'une épée et un harnois.

Mot nouveau dans la bouche de la Normande, qui apprenait tout doucement que chaque chose avait un nom, et que la miséricorde n'était pas que ce qu'on allait réclamer à la messe le dimanche.

Ha. Bonne question. Et cette fois, elle ne pourrait pas mettre sa difficulté à répondre sur le dos de son inexpérience. Que ferait-elle dans cette situation ? Elle réfléchit. Et se dit qu'on attendait sûrement d'elle qu'elle réponde qu'elle irait aider ceux qui peinent. Et pourtant.

Si nous étions... Je ne sais pas, poursuivis par des ennemis, si la survie du groupe était en jeu d'une manière ou d'une autre, bien sûr, j'irais aider ceux qui se trouvent en queue. Mais vous nous décrivez un entraînement. Je ne vois donc aucune raison de ne pas essayer de donner le meilleur de moi-même, et de tenter de rattraper le groupe de tête. Sauf si ceux qui s'empêtrent dans les ronces se font mal. Là, dans ce cas, j'irais les aider à s'en défaire avant de repartir.

Lèvre mordue. Bonne réponse ? Mauvaise réponse ? Elle ne savait pas le dire.

Bon. Mauvaise réponse, donc. Elle baissa le regard. Attendit qu'il la dégage, mais finalement... Pas trop mal sorti. Mmh. Elle en doutait. Avait toujours l'impression d'être une grande impostrice ici, mais tourna sa langue dans sa bouche et n'objecta pas. Et quand il lui demanda si elle avait des questions, opina simplement de la tête.

Quand aura lieu le bilan ?

Eh. Bon. Renvoyée dans les cordes sans deadline précise. Tant pis. Elle se voyait déjà condamnée à se ronger consciencieusement les ongles et à prier bien plus que nécessaire pour être vite fixée sur son sort. Et oui, même si le curé lui avait dit que ça ne se faisait pas de prier pour soi-même, ça ne l'empêchait pas, de temps en temps, d'en glisser une petite au Très-Haut.

Elle pensait en avoir terminé, pouvoir retourner au dortoir, décompresser d'une façon ou d'une autre, mais lui avait manifestement décidé qu'il en serait autrement. « J'aimerais donc savoir ce qui ne va pas, car en ma présence tu es nettement plus tendue et mal à l'aise qu'avec les autres. »
Et merde.
Busted.

Première réaction, épidermique, elle glapit un : Mais non c'est faux ! et constata immédiatement son manque flagrant de crédibilité. Elle inspira profondément, en espérant que cela aurait tempéré l'éclat écarlate de ses joues. Peine perdue.

Enfin...

La rage. Elle ne pensait pas avoir tant manqué de discrétion. Ou peut-être en avait-elle manifesté trop ? Elle n'y pouvait trop rien, sa nervosité débordait dès qu'elle était en présence du géant.

Je m'étais promis de ne rien dire. Pour que vous ne pensiez pas que je me trouve ici pour... Pour autre chose que mon intérêt pour la chevalerie. Je ne veux rien. Je ne revendique rien. Et vous avez le droit de ne pas me croire, mais...

Nouvelle inspiration.

Mon père était Tybald Baccard.

C'est le dernier entretien de la journée, il pensait avoir tout entendu. A vrai dire la journée seule n'y suffisait pas, s'il repensais au nombre d'années qu'il avait fait ce genre de choses que ce soit dans l'ordre ou dans l'ost, aussi loin qu'il s'en souvienne il avait toujours fini par encadrer l'entrainement et l'équipement de hommes d'armes.

Alors à sa place, comme vous, vous penseriez vraiment avoir déjà tout entendu dans le cadre du taf ! Narmol me direz vous !
Sauf que ba c'est encore une fois la preuve que non, on a jamais tout vu, on a jamais tout entendu (sauf si t'es caissier chez carrouf mais bon dans ce cas tu cherches la merde hein) !

Alors qu'il écoutait calmement ses justifications et qu'il se demandait quel grand secret de jeune fille si "gravissime" l'empêchait d'être à l'aise, (vous avez noté le sarcasme c'est bon ?) la chute de l'histoire fut si brutale que si on avait parlé de pavé dans la mare ça aurait été comme comparer le battement d'aile d'un papillon à un putain d'ouragan sa mère !

Le Baccard restait là, bloqué, le regard vide, écran bleu, erreur fatale CRITICAL_PROCESS_DIED, flash du BIOS et changement du SSD vivement recommandé !
Après de longue seconde, le freeze finit pourtant par se débloquer, ramenant les FPS à un léger 10, pire que jouer à Cyberpunk sur un vieil Alienware...Il regarda la jeune femme et répéta doucement :

Ton père était Tybald Baccard ?

En le disant il semblait le réaliser, il posa une autre question :

Donc tu es ma ....?

Il ne finit pas la question parce que bon la réponse voila quoi, thanks captain Obvious mais surtout une autre question passa par dessus :

Etait ??

Haha, il ne s'y attendait pas à celle-là ! Elle non plus, d'ailleurs. Elle avait imaginé mille façons de lui apprendre des nouvelles, le faire à l'arrache à la fin d'une évaluation, sans y être prête, sans avoir pu choisir les mots à employer... Définitivement pas le plan initial.

« Ton père était Tybald Baccard ? »
Bien ce qu'elle venait de dire. Il devait être choqué, le pauvre. On le serait à moins. Alors elle opina du bonnet, pour le confirmer.

« Donc tu es ma ....? Était ?? »

Ah.
Il ne savait pas. En même temps, pourquoi l'aurait-il su ? Le vieux Tybald n'avait, à sa connaissance, jamais daigné donner de ses nouvelles à sa famille légitime, et était mort sans laisser d'adresse où les prévenir.

Oui. Il est mort l'année dernière.

Cela nécessitait sans doute développement.

Ma mère m'a toujours raconté qu'elle l'a rencontré à Honfleur, elle vendait une partie de la pêche du village au marché. Il était ruiné, complètement ruiné. Elle l'a ramené chez elle et... Je suis née. Ils ne se sont jamais marié, et il se laissait entretenir, car il était bien au dessus de tout le monde. Mais il racontait des histoires fabuleuses. C'est lui qui m'a parlé de la chevalerie. De la brave Jeanne d'Arc, et de messire Du Guesclin. Tante Catherine dit qu'il m'a farci la tête de toutes ces histoires. C'est sans doute vrai. C'est à cause de lui que je suis ici.

Et qu'elle n'avait pas épousé le fils de ladite Catherine, le cousin Matthias qui louche. Suivez un peu !

Il parlait aussi de son fils, parfois. Un matin, il s'est réveillé, et a dit "aujourd'hui, mon fils a vingt-cinq ans" puis a quitté la maison, et il n'est rentré que tard le soir, totalement ivre. Maman n'était vraiment pas contente, mais elle ne lui disait jamais rien. Il est mort d'une mauvaise grippe. Il disait toujours qu'il n'aimait pas l'air de la mer, mais il ne daignait tout de même pas repartir ailleurs.

Elle se saisit du verre de vin qu'il lui tendait, en méditant les paroles qu'il avait eu à propos de leur géniteur commun. Il ne s'était jamais vanté de ces exploits-là, préférant romancer sa carrière de soldat pour se présenter en vaillant défenseur de la veuve et de l'orphelin, mais en y réfléchissant bien... Elle n'était pas surprise. Cet homme n'avait jamais été qu'un tire au flanc, acoquiné avec les pires crapules de la région ce pendant que sa mère faisait tout pour maintenir la baraque à flot... Ah, Tybald. Et il avait encore eu le luxe de mourir vieux, ce con !

La suite des révélation, par contre, lui en boucha un coin. Un autre frère ? Dont il n'avait jamais parlé, quand il s'épanchait parfois abondamment sur le premier ?!

Non ? Vraiment ? Il n'en a... Jamais fait mention. Que fait-il ? Où vit-il ? Il est chevalier lui aussi ?

Un autre frère. De son âge. Misère.

A Tours. Près de lui et de sa famille. Elle se remit à tortiller un peu des mains, à nouveau en proie à la nervosité. Famille. Elle avait déjà tout le côté maternel, plutôt bien fourni, avec les tantes Catherine et Jacinthe, les cousins Matthias, Jacques, Jacques le Roux,André Bout-d'ficelle et les bessonnes Jeanne et Marie, mais côté paternel... Ç'avait toujours été le flou total. Jusqu'à présent. Où des branches se raccrochaient peu à peu, à la suite de ce frère qu'elle pensait ne jamais rencontrer, jusqu'à ce qu'elle se mette en tête de se sortir du village et de partir à la recherche de sa destinée.

Ouais, tout ça.

Et elle continuait d'écouter. Elle ignorait cette partie de l'existence de son père, qu'il s'était toujours ingénié à passer sous silence, sans doute parce qu'elle n'était pas aussi reluisante que l'existence glorieuse qu'il s'inventait. Et puis, trois enfants. Plus une belle-fille.

A Tours.

Elle ose :

Pourrai-je les rencontrer un jour ? Enfin si vous... Si vous voulez bien me les présenter. Je sais que je ne suis qu'une obscure bâtarde qui n'a jamais rien vu d'autre que son village et qui se pensait condamner à pêcher la crevette jusqu'à la fin de sa vie, mais... J'aimerais bien les rencontrer.

A Tours ? C'est où ?

Elle opina du bonnet, mais restait un peu circonspecte. Ça parlait de conseil de famille, de sa place... Elle n'était pas certaine d'avoir été très bien comprise quand elle se revendiquait obscure bâtarde. Ou quand, plus tôt, elle avait dit qu'elle ne voulait rien. Sa famille, c'était ceux qui l'avaient vu grandir, là-bas, au village. C'était ses oncles et ses tantes, ses cousins, Papa et Maman morts. Ce frère, sa femme, cet autre frère, elle ne savait pas où les positionner. Dans quelle case. Elle ne les connaissait pas. Ne savait même pas si elle voulait être associée à eux de façon si intime. Et en même temps, que pouvait-elle y faire ? Les liens du sang sont ainsi fait qu'on ne peut jamais les effacer, seulement les oublier.

Les doigts s'entremêlent à nouveau.

J'irai alors. Nous verrons bien.