Un Flamand, ça monte à cheval...

Menant son écuyère, Guillaume la conduisit en l'écurie de la forteresse.

- Après nostre longue marche, dont je suppose que vos jambes se souviennent, je me prépare à vous faire découvrir austre chose. Savez-vous monter à cheval? Avez-vous ici une monture?

Souriant à la vue du jeune animal, Guillaume répondit: "Je crains en effet qu'il ne sache nous suivre aujourd'hui..." Puis il mena Zalina plus loin. "Je pense que cette jument conviendra mieux à ce que nous allons aujourd'hui faire."

A un signe de sa main, un valet d'écurie vint seller la monture alors qu'un austre lui menait sa monture habituelle, un vigoureux alezan aux muscles proéminents et aux blessures témoignant que sa vie ne s'était point passée à brouter l'herbe de France mais bien à l'enflammer par le galop dans lequel il emmenait son cavalier à la guerre.

Piquant des étriers lorsqu'ils furent tous deux à cheval, Guillaume franchit la cour de la forteresse, saluant aux passages les frères croisés, lancé dans une course dont il ne connaissait le terme...

Guillaume sentait la respiration de la jument sur son épaule gauche. Les deux animaux emmenaient à toute vitesse leurs cavaliers sur les chemins qui courraient autour de Ryes. Nul être vivant ne se dressait devant eux, seul l'air leur fouettait le visage avec toute la vigueur imaginable.

Mais la terre s'élevait peu à peu, l'herbe croissait et se resserait, les buissons succédaient aux marguerites, les bosquets aux buissons, puis finalement Guillaume et sa pupille se trouvèrent dans les bois. Se retournant alors, le chevalier regarda Zalina et lui dit: "Double ration de bière si vous parvenez à m'ôter mon chapeau". A ces mots, il fit sauter sa monture au-dessus d'un taillis, dans un large sourire adressé tant à l'écuyère qu'à lui-même, tant il lui était agréable de chevaucher par simple plaisir.

Admiratif du saut de sa pupille, le chevalier lui dit: "Or donc, que vous voici à l'aise à cheval, chère filleule. J'avoue avoir un peu doubter de vous, et de vostre témérité, mais je vois ici qu'il s'agit de courage et le savoir en vostre chef ne peut que m'estre agréable. Je propose donc que nous regagnions la commanderie au petit trot afin de nous y régaler de bière et de poularde" finit-il en songeant que son chapeu était toujours sur sa tête mais que la chevauchée n'était pas finie.

Guillaume avait esté quelque peu déconcentré par le sourire de Zalina. Aussi ne fit-il pas attention à sa main qui s'aventurait au-dessus de sa teste et lui souleva sa coiffe. Ce ne fut que lorsqu'il sentit le vent caresser ses cheveux qu'il comprit avoir perdu son pari. Se tournant vers son écuyère, il lui jetta un noir regard puis sourit: "Eh bien, l'on dirait que me voici vaincu gente damoiselle. Mais serez-vous avant moi attablée à la taverne ?"

A ces mots, il piqua à nouveaux des éperons et se projetta droit sur la forteresse...

Alors que Zalina était enfin au bord du ruisseau, Guillaume lança son cheval vers l'aval du cours d'eau. Les pierres glissaient les unes sur les autres et l'eau les rendait encore plus glissantes. Le chevalier savait qu'il prenait un grand risque pour lui, sa filleule et leurs montures. Mais il voulait toujours aller plus loin, repousser les limites, tant les siennes que celles de Zalina.

Aussi cette course prenait-elle l'allure d'une épreuve. La marche du cheval avait évolué vers un léger trot, évoluant comme au ralenti sur une surface bien peu propice à ce genre d'activités...

- Damoiselle Zalina, dit-il en se retournant, soyez prudente, mais ne trainez point trop non plus. Votre aisance dans ces situations peut un jour vous sauver la vie...

Peu avant d'entrer en la commanderie, Guillaume se retourna sur sa pupille: "Et bien gente damoiselle, je ne puis que vous dire mon étonnement heureux. Nous avons traversé bien des épreuves et toujours vous avez suivi, sans émettre la moindre plainte. Je ne sais vous dire mon bonheur en ce jour. J'ai avec vous la meilleure écuyère dont un homme puisse rêver."

Il glissa alors de sa monture et invita Zalina à faire de même. Une fois celle-ci à terre, il commença: "En ce jour, qu'il ne soit jamais oublié, je t'offre, mon écuyère, soeur Zalina, la preuve de ma confiance en ta force, tes valeurs, ton courage, ta détermination, ta patience, ta tempérance, ton assistance aux leçons donnés par mes frères, et en tout ce qui fait de toi une personne digne d'être partie de notre noble Ordre. Prends cette dague, réalisée par ton parrain, incrustée d'un filament d'or sur sa lame. Elle sera témoin de mon attachement à ta personne et te protégera partout où te mèneront tes pas." Il lui tendit alors l'objet, la lame nue.

Souriant intérieurement de l'hésitation de sa pupille, Guillaume répondit.
-Je sais que vous serez digne de ma confiance, et d'ailleurs si tel n'estoit point le cas, je viendrais vous en demander des comptes... Mais il est temps de regagner Ryes. Je vous dois un tonneau de bière, non point?