Venue d'une nouvelle femme d'arme... C'est écrit, je jure !

[Par la Grande Porte]


Cinq jours. Cinq jours de route depuis l'Alençon jusqu'aux abords de Ryes. Le Nuitel avait chevauché lentement, profitant de chaque instant de cette permission. Il n'aurait su dire ce qui le contentait le plus à cet instant : faire enfin son entrée dans l'Ordre, ou cette pause dans la mobilisation ? Il n'en savait "foutre" rien, comme il lui était coutume de dire et n'en avait rien à fo... Enfin voilà.
Moins d'une semaine auparavant, alors qu'il transmettait les ordres à ses hommes, un courrier à livrée d'azur s'était avancé d'un pas leste et, d'un geste exagérément ample, lui avait tendu le pli. Missive cachetée d'un sceau inattendu, une Licorne cabrée.

-Foutre ! s'était-il exclamé, provoquant un élan de surprise dans ses rangs. Après quelques semaines à ses côtés, ces derniers s'étaient finalement faits à l'usage abusif du mot par le Talleyrand. Mais il avait cette manière à lui de le sortir quand on s'y attendait le moins qui ne laissait pas de les mettre en émois. -Rompez ! avait-il conclu avant de rejoindre sa tente aussi rapidement qu'il le pouvait.

Là, assis sur sa paillasse, il n'avait cessé cinq minute durant de passer et repasser nerveusement sa main dans sa tignasse. Pareil à un gosse, il doutait et paniquait. Doucement pourtant, il reprit le dessus et décacheta d'un coup de dague la missive tant attendue. Isolé, il en entama la lecture à voix haute et, au fil de la lecture, celle ci se teinta d'expressions différentes... La première fut la déception et l'inquiétude :

-"En ce jour, le Haut Conseil de l’Ordre s’est prononcé en défaveur de votre intégration en notre sein au rang d’écuyer." Aie...

Etait-ce là la fin d'une aventure qui n'avait pas même commencé ? Un petit pincement au coeur le saisit tandis qu'il entreprenait la lecture de ce qui devait être les mots de consolation.

-"Néanmoins"... Ô stupeur ! Le soulagement prit le pas sur la déception : -"cette même assemblée a estimé devoir vous recevoir en tant que femme d’arme."

Soulagé et ravi par cette nouvelle, il aurait gueulé "Foutre" s'il n'avait entrepris de relire une fois encore le pli. "En ce jour, le Haut Conseil de l’Ordre s’est prononcé..." L'inquiétude s'était dissipé et laissait désormais toute la place à la joie et la gratitude. Il le serait donc... C'était chose faite. "... a estimé devoir vous recevoir en tant que..." Il allait être "femme d’arme"...

-Comment cela, "femme d'arme" ?!

Il relut une fois de plus le passage et se fendit d'un sourire avant d'éclater d'un rire sonore qui ne lui était pas coutumier. Celle-là valait le coup et il s'en souviendrait un moment... Sans plus attendre, il rejoignit la tente de son Capitaine. La trêve perdurait, il pourrait sûrement s'absenter une dizaine de jours, mais il lui fallait obtenir pour cela son aval. La tâche ne fut pas dure à négocier étant donnée la raison de l'absence et, le soir même, le Talleyrand avait pris la route de la Normandie. Imaginant chaque jour un peu plus ce qui pourrait l'attendre là-bas... A vrai dire, bien peu de choses sûrement. Il ne trouverait là-bas que peu de monde, l'essentiel de l'Ordre se trouvant mobilisé.
Au cinquième jour, les alentours de Ryes et la forteresse, juchée sur son caillou, apparurent à l'horizon. Le Talleyrand piqua sa monture et, l'étendard au vent, partit au galop jusqu'au monticule. Un ascension lente, périlleuse, empreinte de noblesse... C'était ce qui l'attendait dans l'Ordre, et cette ascension semblait commençait dès ce moment alors qu'il empruntait le sinueux chemin qui le mènerait au sommet et au poste de garde. Toute cette symbolique vint frapper l'esprit d'Alan qui perçut bien que, même lorsqu'il serait en haut, il resterait encore bien bas... Loin de s'en décourager, il gagna le poste de garde.

-Hey ! lança-t-il fortement pour se faire entendre par delà les meurtrières.

Et, tandis qu'il attendait de voir arriver le planton, le Nuitel mit pieds à terre et se découvrit le visage. D'un geste de main, il retira cette capuche foncée qu'il arborait pendant les voyages et écarta les pans de sa cape épaisse. Une mine fatiguée ornée d'une paire d'yeux vifs et recouverte de moitié par une épaisse barbe firent ainsi leur apparition. Une main, sur la garde de sa bâtarde, l'autre brandissant une lance ornementée de l'oriflamme aux couleurs des Talleyrand, Alan, vit enfin sortir son premier contact avec Ryes.

Blackie entendait des bruits... des mots, des phrases...

Il se leva en titubant, les vapeurs de la prune qu'il avait dérobée la veille dans la réserve du Grand Maître ayant du mal à se dissiper.
Dans un fracas assourdissant, il s'étala de tout son long. Se relevant péniblement, s'appuyant sur un banc, puis sur la table, finalement c'est en s'adossant au mur qu'il arriva à rester debout...

Sortant du Poste de Garde, il s'approcha de la herse, dépenaillé, le pas hésitant et aperçu une silhouette floue à travers la grille.

Mais pourquoi cette herse n'arrêtait pas de bouger? Et puis il avait l'impression qu'il y en avait deux ou trois!

Il entendit une voix:

"Néanmoins cette même assemblée a estimé devoir vous recevoir en tant que femme d’arme."

S'accrochant à deux barreaux de la grille pour l'empêcher de bouger, il regardait le barbu juste derrière et se mit à rire, d'un rire nerveux au début, puis grandissant, tombant finalement à la renverse en se tapant sur les cuisses, et se pissant dessus...

"Ah ben Messire, c'est les nouvelles directives du Grand Maître... si vous pensiez en arrivant ici valoir quelque chose, sachez qu'on va d'abord commencer par vous les couper. Comme ça vous saurez rapidement la valeur qu'on vous accorde!"

Se redressant sur ses genoux, il s'approcha de la herse, pour être à bonne hauteur, sortant sa dague de sa botte. Il tendit la main vers les balloches de l'individu, approcha sa lame...

....................................

Blackhorn se réveilla, secouant la tête comme après un mauvais rêve. Il avait entendu une voix, un bruit.
La tenue toujours impeccable, ses armes fourbies, il s'approcha de la herse d'un pas décidé.
Il venait de reconnaître Alan, qu'il avait plusieurs fois croisé au campement.

Salut Alan, je suis Blackhorn, tu te souviens? On s'est croisé déjà plusieurs fois ces dernieres semaines...
Puis-je faire quelque chose pour toi? As-tu un document à me montrer?

Souriant, l'air affable, Blackie attendit la réponse...

En un coup d'oeil, le Talleyrand avait reconnu celui qui, pendant de longues semaines, avait été le type aux bons tuyaux, celui qui trouvait de nouvelles lames sur les marchés pour ses camarades et bien d'autres choses. Il avança vers la herse que le compère n'ouvrirait pas sans bonne raison, les amitiés n'en étant pas. Alors, s'armant d'un sourire et d'un regard bienveillant, quoique sombre, le Nuitel partit à l'assaut de la herse.

-Salut Jak, je ne t'aurais pas oublié si vite ! J'avais même remarqué ta disparition du campement, j'en connais maintenant la cause : retour au planton, hein ?

Il sortit le pli tant attendu et le lui tendit à travers la grille. Quelque peu gêné, il accompagna son geste d'un petit raclement de gorge... Si seulement... Si seulement l'erreur de la missive pouvait ne pas être détectée...

-Voilà pour toi : après avoir foulé le sol du campement de la Licorne, je compte parcourir les allées de sa forteresse.

Missive:

Jak sourit à peine quand il remarqua la mention "Femme d'Armes" sur le document. Il avait déjà reçu copie du parchemin et remarqué la "coquille", l'avait d'ailleurs signalé au Vice-Prévost...

Parfait Alan, le document est conforme et tu es autorisé à rentrer... juste un instant, ça ne sera plus très long.

Puis allant vers la herse intérieure, il appela l'homme de faction:

" Maurice, va me chercher un jeu de clés pour un Homme d'Armes (il insista sur l'appellation) et préviens la salle des registres et le Vice-Prévost qu'Alan de Talleyrand, est arrivé."

Puis retournant vers la grille d'entrée:

Bon, ça ne devrait pas tarder. Alors c'est simple, Maurice te guidera en revenant avec tes clés. Tu devras d'abord aller à l'infirmerie, tu rempliras ta fiche médicale, et tu la ranges dans le tiroir "F". Ensuite tu pourras aller à la Tour Hestia et te trouver un lit pour y déposer tes affaires dans le dortoir des Hommes d'Armes.

Puis plus bas...

Le dortoir des Femmes d'Armes est juste en dessous. Si tu t'égares, tu pourras toujours dire que tu as suivi ton ordre d'intégration!

Personnellement, quand je ne suis pas de garde, je dors à l'Auberge du Vieux François, dans le bourg, aux pieds de la Citadelle... Et Maurice te montrera aussi l'écurie. Le jeune Elias s'occupe des chevaux, et il est très consciencieux. Enfin, il s'occupe des chevaux des Chevaliers, toi tu te débrouilleras avec le tien, mais il t'arrivera sans doute de le croiser...