De la rue à la Licorne?

De Chinon à Ryes, il n'y a qu'un pas ... P't'être deux en fait. En réalité, le trajet avait été long, éreintant, périlleux. A plusieures reprises, Erik avait eu envie de faire demi-tour, de retourner dans les rues chinonaises. Qu'est-ce qu'il croyait au juste? Qu'un gamin qui avait grandi dans les rues pouvait devenir chevalier un jour? Sans doute, oui. Et puis, même sans ça, Erik en avait assez de cette vie. Il "zonait" à Chinon, ne vivait que de petits larcins. Jusqu'au jour où, en taverne, alors qu'il allait dépenser les quelques écus qu'il avait "trouver" dans la rue, il entendit des mots magiques. Il entendit parler d'écuyer, de chevalerie. C'était pour lui ça. C'est ce qu'il s'était dit. Il n'avait pas résister à l'envie de questionner ce voyageur dont il ne se souvient déjà plus des traits du visage. Il voulait tout savoir. Par chance, l'homme avait répondu sans rechigner à chacune de ses question. Le lendemain matin, aux aurores, Erik avait pris la route, direction la Normandie et la forteresse de Ryes.

Après plusieurs jours de marche, il avait enfin atteint son but. Le colosse se dressait là, devant lui. Le coeur du jeune homme se mit à battre la chamade. Il inspira profondément et fit un pas vers un destin improbable. Que risquait-il après tout? Dans le pire des cas, on le renverrait manu militari. Il retournerait à se vie de misère et de "crève-la-faim". Il avait tout à gagner en se présentant, alors il marcha. Le chemin était sinueux. Erik le parcourait sans lâcher l'épaisse muraille du regard. Au bout de quelques instant, il arriva eu poste de garde. Après avoir déglutit plusieurs fois, il s'approcha de la herse et s'adressa au garde en faction.

- Hem ... M'sire ... 'scusez-moi ... Heu ... Cherchez pas quelqu'un pour faire des trucs? J'sais pas ... Balayer la cour ... Des trucs quoi.

Erik ne se faisait pas d'illusion. S'il devait entrer, ce serait par la petite porte. Et puis, à bien y réfléchir, gagner sa croûte en exécutant la basse besogne ici ou manger au petit bonheur la chance à Chinon, le choix était vite fait.

C’était une fin de matinée comme toutes les autres. Enfin pas tout à fait comme les autres nota Fool. Au moins il ne pleuvait plus ou pas encore. L’écuyer était épuisé par ce temps exécrable. Il se languissait de Montpellier, du Sud, de la chaleur et du soleil. De plus son bras gauche le faisait souffrir, sans doute l’humidité. Bref il était d’une humeur exécrable. Il aurait passé volontiers ses nerfs et le fil de son épée à travers du corps, ou mieux des corps, d’un breton, un angevin ou d’un hérétique helvète. En fait de n’importe qui pour lequel il aurait une raison de lui en vouloir.

Donc notre licorneux manchot était là et las à attendre un hypothétique visiteur à la herse de la forteresse. Parce qu’il n’était pas légion les visiteurs ces temps-ci. Avec le temps déplorable du printemps. Fallait-il être fol ou très motivé pour courir les chemins.

Toujours est-il, alors qu'il rêvassait doucement à un massacre sans nom, la masse d'armes à la main sur une montagne des cadavres de ses ennemis, la boite crânienne éclatée, (et oui on s'occupe comme on peut quand on est planton), le languedocien sort à regret de sa rêverie et voit monter la colline un piéton, un voyageur sans le sou semble-t-il à sa pauvre mise, et plutôt jeune. Escagasser de devoir quitter ses pensées si "agréables", il regarda le jeune homme s'approcher un poil hésitant.

Citation :: - Hem ... M'sire ... 'scusez-moi ... Heu ... Cherchez pas quelqu'un pour faire des trucs? J'sais pas ... Balayer la cour ... Des trucs quoi.

C’était une présentation pour le moins peu conventionnelle. Et Fool n’était pas d’humeur.

Le bonjorn, mon garçon !

Aboya sèchement l’écuyer. Il hésita à envoyer promener plus vertement encore le visiteur, mais se ravisa. Il n’était pas garde-chiourme mais la première étape pour le long sésame de la Licorne. Il avait un rôle à tenir.

Votre nom? Qu’est-ce qui vous amène ici ? vous avez un laisser passer du haut conseil?

Il se doutait bien que non, mais sa formation militaire faisait qu’il était règlement-règlement. On pose les questions d'abord et on frappe ensuite, ou c'était l'inverse peut-être...? Dans le doute...

Erik avisa le garde qui lui aboyait dessus. Il fit un pas en arrière, pris par une soudaine envie de s'enfuir. On lui avait dit que prudence était mère de sécurité. Le jeune ne se fit pas prier pour mettre l'adage en pratique. En même temps, le chinonais n'avait pas pour habitude de croiser des gardes manchots armés d'une masse d'arme. La vision était assez impressionnante. Pourtant il en voyait des choses dans la rue. Ca allait de l'ivrogne endormi dans son vomi en passant par les visages les plus amochés possibles. Rien qui ne ressemblait, cependant, à ce garde-là.

Malgré ses craintes, Erik se hasarda à un :

- B'jour.

Il se rendit compte qu'il avait oublié de saluer en arrivant. Son manque de politesse le fit rougir quelque peu. Il semblait prendre un mauvais départ dans sa rencontre avec le fameux ordre de la Licorne. La suite de la conversation n'était pas plus engageante.

- Bin ... J'veux dev'nir chevalier ... 'fin un jour hein ... Pas tout d'suite ... 'fin ... J'peux commencer par récurer les écuries si faut ... J'veux dire ... 'fin v'là quoi.

Pas rassuré, non, pas rassuré du tout. Un gamin des rues, même s'il est plein de volonté, reste loin de l'idée que l'on peut se faire d'un chevalier. Ca, Erik en avait bien conscience. La dernière question lui arracha une grimace. Le Haut Conseil? Bin c'est à dire que :

- Bin ... J'connais pas l'Haut Conseil ... En fait ... J'connais personne ... C'est obligé l'laisser passer?

Et quiqui passait par là? Non ce n'était pas le Quiqui c'était la Marie. Parfaitement. Et pourquoi elle passait par là? Bah pourquoi pas après tout hein, elle prenait l'air, se dégourdissait les jambes, observait discrètement la vie de la citadelle. Puis bon de toute façon elle était là puis c'est tout non mais des fois!

Elle passait donc et s'arrêta, histoire d'écouter de quoi il s'agissait. Parce que cette tête là elle ne la connaissait pas et que logiquement elle les connaissait toutes au moins de vue les têtes qui s'approchaient de la forteresse ou y rentraient. Un petit sourire étira ses lèvres tandis que la conversation s'amorçait et elle sortit de l'ombre, se plaçant derrière Fool qui avait dû la voir bouger du coin de l'oeil mais qu'elle prévint en saluant.

Bonjour.

Que savez-vous faire dans les écuries?

Pas de présentation? Bah non, pas tout de suite, juste un sourire pour le licorneux et un regard pénétrant pour le nouvel arrivant.

Une Licorne peut en cacher une autre. Ce nouvel adage s'imposait assez rapidement à Erik. De prime abord, l'arrivée d'un nouvel intervenant, une en l'occurrence, aurait pu mettre un peu plus le jeune homme mal à l'aise. Quand il s'aperçut qu'il s'agissait d'une femme, cela le rassura un peu. Le contraste était saisissant entre le garde à l'apparence patibulaire (mais presque) et la femme qui s'avançait. Ce n'était pas pour autant que ça rendait la situation plus agréable. Erik restait impressionné. Il s'embourba dans une sorte de révérence hasardeuse qui ne fit qu'ajouter à un désarroi déjà bien avancé.

- Heu ... B'jour

La question eut le mérite de faire naître un léger sourire au coin des lèvres adolescentes. La nouvelle venue semblait lui prêter un certain intérêt. La porte ne s'ouvrait pas mais, au moins, Erik voyait naître un infime espoir.

- Bin ... J'sais pas trop ... Récurer, donner d'la bouffe aux ch'vaux ... Heu ...

L'angoisse. Erik était prêt à tout pour voir son rêve se matérialiser. Un petit problème s'imposait. En digne gamin ayant grandi dans la rue, il savait mieux faire les poches et voler sur les étals que s'occuper de chevaux.

- Pis, j'suis pas bête ... J'veux dire, j'peux apprendre. Parait qu'j'apprends vite. Pis j'f'rais c'qu'on m'dira d'faire hein ... 'fin, j'écout'rais bien et tout.

Nouvel objectif, creuser un trou et s'y enfoncer le plus profondément possible. Erik perdait pied. Déjà qu'il manquait d'assurance devant les personnes de condition plus aisée que la sienne, autant dire presque tout le monde, là s'était le bouquet. Deux Licorneux pour le prix d'un et un avorton au bord de l'apoplexie. Ressaisi toi mon grand.

Elle retint un soupir devant la courbette. Etait-ce parce qu'elle était une femme qu'il agissait ainsi? Non sans doute que non, après tout même à Ryes la facture de ses vêtements indiquait qu'elle ne travaillait pas dans les champs pour gagner sa pitance.

La base en somme. Nettoyer les sabots, seller, monter?

Oh ce ne serait pas le premier garçon d'écurie qu'elle prendrait à son service le cas échéant qui ne savait rien ou presque après tout.

Il semblait de plus en plus mal à l'aise, comme sur des charbons ardents. D'humeur taquine elle décida de souffler sur les braises un peu, histoire d'en rajouter une couche, après tout, ce n'était pas bien méchant.

Pas bête, pour l'heure personne n'a dit une telle chose. Mais peut-être serait-il utile de nous en dire plus. D'où venez-vous? Pourquoi venir nous voir nous?

Parce qu'elle était certaine d'une chose, il n'était pas du village en contrebas.

Nettoyer les sabots, seller, monter ... La base. Les mots résonnèrent dans la tête d'Erik ou plutôt s'entrechoquèrent. Sa tête se mit à se balancer dans une sorte de mélange affirmatif et négatif. La base, il ne la connaissait pas. Quant au chevaux, les seuls qu'il avait approché étaient ceux qui avaient failli le piétiner au hasard des rues de Chinon. Ses épaules s'affaissèrent ostensiblement. A quoi bon camoufler l'abattement qui le saisissait à présent. Erik voyait toutes ses chances s'envoler et ne put que balbutier une maigre réponse.

- Bin ... Plus ou moins ... Décrotter les sabots p't'êt' mais pour l'reste ... J'suis pas sûr.

Le jeune homme allait amorcer un mouvement de départ lorsque de nouvelles questions le retinrent. Il se contenta de répondre avec une obéissance imposée par une sorte d'impuissance face à la situation.

- J'viens d'Chinon. Pis pourquoi vous ... Bin ... La Licorne quoi. C'est les meilleurs.

Un éclat fit scintiller ses pupilles. La Licorne, c'était son rêve. Il avait déjà vu les étendards passer au loin, les armures scintillantes et les chevaux de guerre. Forcément la Licorne. Pour Erik, il n'y avait aucun doute possible.

Fool s'apprêta à pousser plus loin la question au visiteur, quand la soeur Marie Alice fit son apparition. En effet même les chevaliers ont droit de se promener. Même si en principe ils devraient être affairés à prendre de grandes décisions pour l'avenir de l'ordre ou à courir par monts et par vaux à protéger la couronne, la veuve et l'orphelin plutôt que de badiner à la porte de la forteresse.

Le bonjorn, Soeur.

Il lui rendit son salut.

Puis il s'effaça quand il s'aperçut que le chevalier semblait prendre la situation en mains et surtout s'intéresser au gamin. Il aurait pu s'en occuper seul, mais cela semblait l'amuser ou autre. L'écuyer se dit que c'était sans doute l'instinct maternel: un gamin un peu paumé, et hop!

Elle avait quand même des allures de tortionnaires en ce moment Marie. Les hormones peut-être. Ou l'envie de s'amuser. Ou les deux. Bref, elle le voyait patauger et se mettre limite à transpirer alors qu'après tout les questions n'étaient pas encore bien méchantes. Parce que oui, sans aucun doute, la brune pouvait faire laaaaaaaargement pire.

Je vois....

Un silence.

Chinon. Je connais.

En bien en mal, pour l'heure il ne pourrait que tenter de le deviner.

Si nous vous employons aux écuries ou si l'un de nous vous prend sous son aile, vous êtes prêts à bouger? A nous suivre? Parce qu'autant vous dire tout de suite que nous restons rarement en place.

La Licorne ça se méritait.

Un large sourire éclaira le visage d'Erik. Il en aurait presque sauté de joie. Comment ça rien n'est fait? Oui bon, peut-être qu'il s'emballe un peu mais il a des circonstances atténuantes. Donc, Erik antra dans une sorte de lévitation. Allez savoir pourquoi, il avait la sensations que ses talons ne touchaient déjà plus le sol. Il hocha la tête une seule et unique fois mais presque assez fortement pour la décrocher.

- Ouais partout même heu ... heu .... Sur la Lune.

Il est désespérant parfois mais il le fait avec tellement d'enthousiasme. Et Erik, de l'enthousiasme, il en avait à revendre à ce moment là.

On pourrait commencer par Montmirail dans un premier temps. C'est là que nous devons rester pour le ban. Du moins je vais m'y trouver avec quelques licorneux.

A toi de voir.

Oui finalement elle était passé du vous au tu.

Au fait, je suis Marie Alice de Meyrieux, Chevalier de la Licorne.

Et tout un tas d'autre chose mais cela il l'apprendrait sans doute s'il venait.

Erik opina d'un autre hochement de la tête. Son coeur battait à tout rompre. Il s'y voyait déjà, en armure rutilante et cheval de guerre. Bien sûr, pour le moment c'était plutôt marche et haillons mais la porte était ouverte.

- Montmirail? ... J'y s'rais. Promis.

Elle s'appelait "de Meyrieux". Déjà, il avait bien vu. Elle n'était pas, a priori, issue du même milieu que lui. Un légère hésitation vint pointer le bout de son nez.

- Heu ... Vous voulez qu'j'y aille maint'nant? ... J'veux dire ... Heu ... Rien d'autre à faire?

Erik préféra demander avant de se lancer dans une course effrénée vers Montmirail. Il y était passé en venant à Ryes. Il avait au moins cet avantage d'un bon sens de l'orientation.

Une fois sur place il y aura des choses à faire mais pour l'instant c'est tout oui.

Je te conseille par contre de te dépêcher et d'être prêt à travailler.

Au fait, ton nom exact c'est?

Bah quoi il fallait quand même bien qu'elle sache non?

Erik se gratta la tête. Il se souvenait bien que le garde lui avait aussi demandé son nom. Par contre, il ne se souvenait pas avoir répondu. Sa bouche se tordit dans uns sorte de S qui signifiait son embarras.

- Erik, Dame chevalier, j'm'appelle Erik.

Le jeune homme s'inclina légèrement. Cette fois, il y mit un peu plus d'application. Le geste était plus simple ce qui facilitait les choses.

- J'y vais.

Sourire au lèvres, Erik pris la route en trottinant. Il n'était pas très musclé mais il avait de l'endurance.

Citation :: [Départ de Chinon ce soir, arrivée prévue à Montmirail lundi]

Erik. C'est noté.

Elle répondit d'un signe de tête à son salut et le regarda partir en dévalant la pente qui menait la forteresse au village.

Un sourire à Fool avant de faire demi-tour et de rentrer dans les murs.

Bonne continuation frère.

[Pas de souci.]

Fool avait observé toute la scène dans son coin. Voyant le gamin partir à fond de train vers le village et Montmirail, il ne put s'empêcher de sourire. Au moins il était heureux le garçon.

Bonne journée à vous, soeur.

Il repris sa faction.

Où en était-il déjà? ah oui 867 crânes, et splash! et 868!...

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