arrivée inattendue

Un déluge de pluie s'abattait sur la Normandie. Pas le crachin habituel, pas le simple brouillard, non, cette pluie là tenait plus des épisodes cévenols, le fait que les gouttes étaient surfondues et non chaudes mis à part, ainsi que l'absence de foudre.
Le vent soufflait en rafales en provenance de la Manche, et s'engouffraient à la vitesse du cheval au galop vers l'intérieur des terres.
Au zénith, le ciel était plus noir qu'une nuit sans étoile, et pourtant au loin au couchant, un boule rouge parvenait à faire pénétrer quelques rayons blafards par dessous la couche nuageuse, finissant de donner au tout une allure de jour de jugement dernier.
Le chemin s'était peut à peut transformé un torrent boueux, les champs en marais, les vergers en mangrove.
Dans la plaine, pas âme qui vive. Tous les paysans s'étaient barricadés dans leurs chaumières après avoir mis leurs bêtes au sec dans les granges. Volets clos, seule l'épaisse fumée nécessaire au réchauffement des habitations trahissait leur présence. Et parfois une lueur se faufilait entre le volet et le mur, quant on déplaçait une chandelle à l'intérieur.
Les bêtes sauvages s'étaient aussi terrées, bien avant les hommes d'ailleurs, sentant la tempête arriver.

Pas âme qui vive... sauf un cavalier, seul aux cotés de sa monture. Il avançait lentement, le dos courbé, une cape foncée détrempée masquant sa silhouette, l'eau glacée coulant en torrents sur son visage. Il avait l'air d'errer sans but précis, le déluge ne semblait pas l'affecter. D'aucun aurait cherché une auberge dès les premiers signe de pluie, mais lui avançait sous les éléments, encore et toujours, il avançait lentement. D'une main il tenait les rennes de son cheval, qui le suivait docilement, tout aussi peu perturbé par la pluie que son maitre.

Alors que le Soleil finissait de disparaitre, une masse noire, imposante, vint à le surplomber. Il tourna le regard vers elle.

Ryes...

Le cavalier, qui ressemblait tout au plus à une forme informe sous la pluie, parcourait péniblement les derniers arpents du chemin d'accès. Chemin d'accès qui au vu des circonstances se distinguait for mal du glacis défensif. N'importe quel voyageur aurait eu tôt fait de perdre la piste, et de se retrouver enchevêtré jusqu'au cou dans des taillis de ronces et d'aubépines, cependant pas un instant la forme n'hésita pour se diriger et arriva bientôt sur le pont levis.

Il s'arrêta, essayant de voir à l'intérieur du corridor à travers les filets d'eau.

Fichue journée... Qui s'en allait maintenant, ne laissant guère de regrets derrière elle, excepté sans doute celui d'être suivie par une fichue nuit. Qui cantonnait les gardes au couloir qui s'enfilait sous la muraille et à la salle accolée à celui-ci, qui avait, elle, l'avantage de ne pas être balayée par le vent. Hélas, elle avait aussi le désavantage de ne pas du tout permettre de voir l'extérieur à la convenance du garde, qui était donc obligé de se tenir dans l'étroit passage. Celui-ci avait donc revêtu ses plus chauds vêtements, et se tenait pour l'heure adossé au mur, cherchant à amoindrir autant que possible sa surface d'exposition à ce glacial courant d'air, essayant de garder les yeux ouverts plus de trois secondes d'affilée, sans grand succès jusque là. La journée avait été longue...

D'un coup, il tourna la tête, ayant cru entendre un bruit autre que celui de la pluie qui tombait toujours aussi dru... Comme un cheval qui renâclait, peut-être. S'approchant de la herse, il jeta donc un regard dans le noir, mais n'aperçut rien... Il ne distinguait rien au-delà des arbustes les plus proches, ceci dit. Attendant un peu, il n'entendit rien de nouveau... Il avait probablement imaginé le bruit. Et s'en alla donc reprendre sa place, à attendre, encore... Fichue nuit, vraiment. Ça portait sur les nerfs...

Nouvelle impression de bruit... Aller voir? Rester aussi bien installé qu'il le pouvait? L'hésitation ne dura guère longtemps, tellement était inconfortable déjà cette dernière option... Et là, effectivement, il aperçut quelque chose. Une silhouette, juste derrière le pont... Un cheval, aussi. Rien qui lui en apprenne davantage sur le visiteur n'est visible, en tout cas... C'est donc se saisissant d'une pertuisane posée négligemment sur le mur qu'il approche de la grille et s'adresse à l'homme - ou femme - d'un ton qui, bien que trahissant sa fatigue, reste ferme:

Je vous préviens d'avance que ce n'est pas ici un hospice pour voyageurs égarés, si c'est votre cas, il est donc inutile de perdre votre temps ici. Si vous venez pour quelque affaire en rapport avec l'Ordre qui se trouve ici, je vais devoir vous demander votre nom...

Le cavalier grommela quelques mots incompréhensibles dans sa barbe de 20 jours.
Il farfouilla quelques instants dans une poche intérieure de sa cape gorgée d'eau, en retira un objet et le tendit en direction du garde.

Pour ce soir toutes les affaires qui m'intéressent seront un repas chaud chez le Maure et un peu de repos dans ma piaule, les affaires de l'Ordre attendront jusqu'à demain.

S'approchant un peu plus de la herse, afin de mieux montrer l'objet.
Ceci est il toujours un laissez-passer suffisant à pénétrer ycelieu Messer Errant?

Un rayon de torche se refléta alors sur une Licorne d'argent suspendue à des maillons d'or et de gueule.

Alors qu'il s'apprêtait à se saisir de l'objet tendu, le poitevin s'arrêta net au milieu de son geste, stoppé tant par les propos de l'homme que par le collier qu'il portait, celui d'un Chevalier... Incapable pourtant de le reconnaître, il s'inclina avant de répondre à celui-ci:

Je vais vous relever la grille de suite, Chevalier.

Alors qu'il se reculait pour le faire, sans s'être donné la peine de vérifier le laisser-passer, l'Errant se demandait qui donc ce pouvait être. Et, ne trouvant pas, haussa à sa propre destination les épaules, se disant qu'il verrait bien assez vite, de toute façon. Mais, au fait... Chevalier, hein? Et ce n'était pas un des Capitaines, il l'aurait reconnu, même barbu... Le choix se rétrécissait donc. Accent occitan dans la voix... Julios? Le Comte de Castries? Un des deux, sans doute... N'y en avait-il pas cependant un tiers? Bah, peu importait, venait-il précisément de se dire, la réponse viendrait bien assez vite...

La roue qui entraînait la herse grinça sous la poussée tandis que celle-ci se soulevait, d'abord avec lenteur, puis plus aisément ensuite, libérant un passage qui finalement atteint la taille d'un homme, puis d'un cheval, avant de s'arrêter mollement, le mécanisme bloqué par une barre judicieusement introduite en son sein. Retour à l'entrée, maintenant, où le chevalier, déjà, s'engage dans le couloir, sous le regard curieux de l'Errant...

Le cavalier pénétra dans la coursive, restant dans l'ombre, la tête baissée sous sa capuche, il rangeait le collier de chevalier dans la poche d'où il l'avait sorti alors qu'il s'approchait du garde.

Vous me décevez Errant!

Passant de la poche à la garde de son épée, il dégaina soudainement pour placer sa lame sous le cou du garde.

Ne savez vous point qu'un accent s'imite?
Ne savez vous point que des renseignements sur l'origine d'un tavernier ou sur les insignes des différents grades peuvent se trouver sans trop de frais?
Ne savez vous point qu'un collier peut se voler, ou plus vraisemblablement se récupérer sur la dépouille encore chaude d'un chevalier?

Et que dire si une horde de malandrins n'attendait que mon signal pour sortir du couvert du déluge et pénétrer dans la forteresse dont vous m'avez ouvert la première ligne de défense?

Heureusement.... dit il enfin en rengainant et en relevant sa capuche. On pu alors reconnaitre, pour qui le connaissait, le visage du comte de Castries, certes amaigri, certes fatigué, certes durci et changé par la barbe naissante et les cernes creusées, mais c'était bien lui.

...je suis bien qui je prétends être.

Méditez bien ceci, vous devez être absolument certain de l'identité de quiconque essaie de pénétrer ycelieu. Se prétendrait-il Homme d'Armes, Grand Maistre, ou Roy, que les vérifications devraient se faire avec la même rigueur!

Il lui tendait à présent une main tant en signe de salut qu'en un geste demandant de ne lui tenir aucune rancune pour la petite "leçon".

Bon, passons sur les détails de sécurité, je suis bien aise d'enfin arriver. Quelles sont les nouvelles de la forteresse, mis à part que le temps est toujours aussi exécrable en cette région?

[HRP: c'est son collier que Guilhem tendait en tant que laissez-passer, c'était peut être pas très clair...]

Glups... Un instant de doute, tout de même, pendant que le chevalier fait la leçon. Mais il a omis un détail, tout de même... Hésitant... Lui dire? Ne pas lui dire? Allez, la première... Lui serrant donc la main, il répondit.

Vous avez indubitablement raison, Chevalier, mais il se trouvait un détail qui ne pouvait être plagié. Vous m'avez appelé "Errant", or on vient à peine de m'élever à ce rang, et je ne suis pas sorti de la forteresse depuis lors, ni ne porte de signe distinctif. Qui donc aurait pu le savoir, arrivant maintenant, qu'un membre ayant sans doute eu connaissance de ce fait dans les discussions du Haut Conseil?

Petite pause, avant de répondre à la question suivante.

Eh bien, une récente cérémonie d'intronisations et promotions, sinon, guère de nouveautés... On s'entraîne, on profite de la taverne de René pendant qu'il martyrise les hommes d'armes... Une certaine forme de routine, en somme.

Pas d'insignes?

Guilhem regarda l'Errant de pied en cap...

Ah oui il est vrai, au temps pour moi... Et pourtant je n'ai pas assisté à cette cérémonie... J'ai du le lire dans quelque missive du conseil en effet... Mais qui dit missive dit que l'information peut avoir filtré... Les pigeons sont facilement corruptibles par quelques miettes de pain.

La routine? Quelle horreur!

Mais je n'ai même pas eu le temps de vous féliciter pour votre avancement, j'oublie les primes politesses veuillez m'en excuser.

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