Entretien avec l'Impétrant Pons d'Ambroise

Quelques rayons de soleil essayaient de percer les vitres de la salle Hubert où une fine silhouette se tenait près de l’âtre. Des sinoples se laissaient happer par la danse quasi érotique des flammes qui se laçaient et se délaçaient sous ses yeux. Ces êtres d'or et de gueules se mouvaient comme des vivants en recherche de liberté. Mais le constat était de cet emprisonnement, lié à tout jamais au bois qui se consumait. A vrai dire, ces êtres allaient à leur mort certaine .... où pouvait on penser qu'ils revenaient à chaque fois que l'on rallumait un feu?
Cette pensée fit sourire l'Etoile. Le coude contre la corniche de la cheminée, le corps penché vers la source de chaleur, la blonde se perdait dans la contemplation de ce spectacle. Il fallait dire que la pièce n'était pas encore bien chaude.
Aussi avait elle fait installer l'unique table pas trop loin d'elle, les deux chaises se faisant face.
Le dossier que le Haut Conseil lui avait remis sur l'Impétrant qu'elle attendait trônait sur la table. Une bouteille et deux gobelets lui tenaient compagnie.

Le Cavalier attendait patiemment ce nouveau candidat .

Une femme, encore... Il n'y a donc que des femmes et des géants dans cet Ordre ? Pons d'Ambroise venait de se présenter sur le pas de la porte de la pièce qu'on lui avait indiquée. Son regard n'avait pas manqué de croiser la blonde près du foyer. Sans plus attendre d'invitation, le chevalier s'avança vers la cheminée monumentale qui meublait la salle et donnait quelques couleurs chaleureuses et chatoyantes en cette triste saison. Le Provençal était de ces frileux, de par ses origines et de son long voyage en Orient. Ses mains noueuses se portèrent vers le feu pour se réchauffer aussi tandis qu'il s'accroupit. Le bruit de son armure tirerait certainement sa future interlocutrice de ses pensées.

– Ma dame, le bonjour... je suis Pons d'Ambroise, se présenta-t-il sans plus tarder.

Le vieux capitaine avait dans les trente-cinq ans ; une stature plutôt imposante, même dans cette position. Son teint hâlé avait un peu perdu mais son visage avait conservé les marques passées d'un soleil sans pitié. Il offrait depuis des traits tirés et impassibles, accentués avec l'âge, mais un sourire vint l'égayer un peu en croisant le regard de la femme. Sa tignasse blonde n'avait pas le même panache que les cheveux de sa vis-à-vis. Son nez se plissa et il renifla bruyamment, profitant de la chaleur qui émanait de l'âtre dans le froid ambiant, à peine supportable malgré son épais manteau qui recouvrait son armure, une peau de bête sur les épaules – trophée de chasse, un cerf à n'en pas douter – pour doubler l'habit par cette saison.

La Blonde l'avait entendu mais n'avait pas sourcillé. Qu'avait elle à craindre en cet endroit réputé inviolable ?

Aussi lorsque l'homme s'agenouilla près d'elle au plus près de la chaleur, elle émit un léger sourire en coin. Elle lui rappelait son armure présentement à l'armurerie pour cause d'usage trop important - ou de coups ? - .
L’Étoile était dans une tenue simple, braies coincées dans ses bottes de cuir, chemise de lin couverte d'une cotte d'homme de brocard chaud , tandis que sur ses épaules trônait une cape, mais pas celle des Licornes qu'"elle réservait pour d'autres occasions.
D'ailleurs n'était il pas trop dur de se promener en armure? La blonde intrépide ne l'aurait pas fait, jugeant qu'elle entravait ses mouvements .
une voix douce mais ferme répondit à l'Impétrant, tandis qu'elle lui fit face... du moins le surplomba pour l'occasion: pour une fois qu'elle était plus grande qu'un homme ! L'occasion rêvée !

Antlia Kennedy, Seigneur de Urre, Baronne de Grignan, Cavalier de l'Ordre de la Licorne. Enchantée .
Elle sourit alors puis continua:
Dans cette forteresse, les titres n'ont plus cours. Chacun icelieu est l'égal de l'autre. Aussi vous demanderai je de vous lever .

Comment cela elle poussait le bouchon un peu trop loin ? Mais non, elle était juste taquine l'Etoile et c'est un sourire du même genre qui le toisa, taquin.

Je vous invite à prendre place sur cette chaise. Un geste élégant de la main lui indiqua la chaise qui faisait face à celle sur laquelle elle prenait place. Elle versa le liquide dans les deux gobelets et en tendit un à l'homme.

Ceci vous réchauffera.

La femme s'était relevée. Il devait sentir l'ail... Même si c'était très bon pour la santé – surtout à cette époque –, il fallait qu'il arrête de tartiner ses tranches de pain d'ail... L'observant du coin de l’œil, elle se présenta. Une noble, bigre ! Aussi se releva-t-il et inclina légèrement son buste, la main sur le cœur, pour lui témoigner de la déférence qui lui était due, quoi qu'elle en dise. Sans mot dire, ni maudire, le chevalier hocha de la tête à l'invitation pour prendre place à la table installée dans la pièce froide et vidée de ses meubles. Ses yeux ne s'étaient pas arrêtées trop sur l'architecture des lieux, si épurée, pour se concentrer sur la cheminée et sa flamme, puis la baronne qui lui tenait alors compagnie. Voyant qu'elle ne poursuivait point et dédaignant pour l'heure le verre, il prit la parole.

« Que souhaitez-vous savoir, Antlia Kennedy de Grignan ? »

[La joueuse d'Antlia a un souci de pc, elle revient dès que possible. Merci.]

XD vous m'avez donné un faux espoir... je vous déteste JD Mariealice

[ je suis de retour .... avec mes excuses je réponds dans ce we )

Le vieux capitaine observait la gestuelle et l'attitude d'Antlia, cherchant à la comprendre et à savoir qui elle était. Ce n'était certainement pas sa première entrevue avec un impétrant à la Licorne. Et si cette dernière n'était que cavalière, elle ne s'éloignait guère de l'idéal chevaleresque si inaccessible parfois.

– Je reviens d'un pays où le tutoiement est une coutume, commença Pons, aussi bien pour les princes que pour leurs sujets. Mais j'ai dû perdre cette habitude, devant le choc que cela produisait chez les Francs, relevant en moi une impolitesse notoire. Et pourtant... Le tutoiement ne manque pas respect et place souvent les deux personnes qui échangent sur un pied d'égalité l'un envers l'autre. Désormais, même les marauds s'offusquent de cela et attendent qu'on les vouvoie aussi rondement que les nobles !

La première réponse faite, il passa à la question suivante.

« Mes prétentions pour un ordre de chevalerie aussi vieux que la France ? Je me demande parfois si ce n'est pas là de l'orgueil mal placé. Voilà, rejoindre des femmes et des hommes qui ont fait ce Royaume et l'ont défendu envers et contre tous, peut-être pour les soulager en les épaulant de mon faible bras armé. C'est le propre de tout aspirant à la chevalerie de mettre son épée au service de la plus juste cause, d'une noble entreprise, d'un preux et très aristotélicien Roy. Je crois pour l'heure ne pas m'être fourvoyé dans mes choix... »

Le chevalier esquissa un sourire en entendant Aristote. Il avait remarqué depuis son retour que les gens ne priaient guère celui qui avait apporté le salut à l'Humanité et fondé l’Église.

« N'oubliez-vous pas un Prophète ? Si Aristote apporte la raison en toute occasion, Christos donne la foi par dessus tout. Le premier philosophait avec une intelligence certaine, mais le second apporta finalement le salut par un prêche touchant de simplicité. »

Puis fronçant les sourcils, il s'offusqua quant à ne pas croire en Dieu.

« L'incrédulité est pire que l'hérésie et se combat avec autant de force que cette dernière. Il y a vingt ans, je quittais mon foyer et me croisais pour aller batailler contre les Turcopoles. Ceux-ci sont des hérétiques mais croient en Dieu. Eux-mêmes pourchassaient et combattaient les hypocrites et les incrédules qui, dans leur peuple ou chez leurs voisins, corrompaient les croyants en les détournant du Seigneur, leur salut. Il n'y a de Dieu que Dieu, disent-ils. Il n'y en a pas d'autre... »

L'Etoile fronça les sourcils un instant, à peine perceptible cet instant. D'une voix qui paru légèrement plus lent et ses mots détachés elle demanda à la suite:

Je ne suis pas ignorante quant à la religion aristotélicienne mais vous remercie tout de même de cet éclaircissement.
Il est de mon devoir d'éclaircir certains points et je pense que je vais encore vous offusquer, peut être davantage :
pensez vous concevable alors que des Licornes puissent venir au secours d'hérétiques comme vous les nommez?


Ses mains se joignaient alors et elle posa délicatement la pointe de son menton volontaire sur celles -ci.

Une question en valait une autre.

« L'Ordre royal de la Licorne protège-t-il les hérétiques ? »

Puis marquant une courte pause, Pons d'Ambroise se décida de répondre avant qu'elle ne réagisse.

« Mais en cela je n'ai pas de leçon à donner tout simplement parce que je servis les païens que sont les Turcopoles il y a peu. Capturé lors d'une chevauchée vers Constantinople, ils mirent en déroute mes compagnons après un rude accrochage où un Mamelouk me désarçonna. J'ai dû renier ma foi mais Dieu m'a fait grâce de ne jamais avoir à combattre mes frères aristotéliciens lorsque je fus au service du Roy d'Egypte et de Syrie. C'est même finalement grâce à lui que j'ai pu prier sur le Calvaire où Christos fut mis en croix et visiter Jérusalem. J'ai beaucoup appris de mes ennemis dans des domaines où je doutais qu'ils excellaient, notamment la chevalerie ou la foi en Dieu. »

Il observa son interlocutrice un instant avant de poursuivre, ou plutôt conclure.

« Je suis un capitaine, je sers les rois auxquels je fais mes hommages et combats leurs ennemis avec un zèle qui ne saurait se terminer que par ma mort ou la disgrâce royale. Je laisse aux clercs le loisir de pardonner à mes frères et sœurs qui se fourvoient pour les ramener dans le droit chemin. C'est à ces mêmes ecclésiastes que je confesse mes fautes et lave mon âme ô combien ensanglantée, pour ne pas dire noire... »

Ses lèvres se pincèrent doucement à ses mots, avait-elle écouté ou n'avait-il pas été assez clair ? Il arrivait parfois que le chevalier s'abandonne dans de longs et philosophiques discours, lui, d'habitude si laconique. C'était là le paradoxe qui le définissait. Un homme difficile à cerner voire à comprendre, c'était le cas à ce moment là. Le visage fermé, ses yeux azurs la scrutaient de ses profondes orbites.

– J'y ai répondu, si je ne m'abuse, dit-il posément.

« Si mon allégeance va à la Licorne, j'obéirais aux ordres qu'elle me donnera. »

Réfléchissant à la dernière question, il étouffa un rire. Quelles pourraient bien être ses autres qualités, lui qui n'avait fait que la guerre depuis sa plus tendre jeunesse. Il ne savait si là, il répondrait correctement à ce qu'elle attendait de lui.

« J'ai quelques notions en architecture – entendez par là maçonnerie –, aussi bien militaire que civile. De même j'ai étudié l'astronomie et la navigation à l'Université, ne l'ayant pas, à l'heure où nous parlons, pratiquée. Le latin, ça compte ? »

Une petite note humoristique pour finir...

« Quand je me suis installé en Champagne, j'ai promis à son Duc mon épée pour défendre ses sujets. Mais cela ne m'a pas empêché dernièrement de voyager longuement à travers la France pour escorter un ami marchand. Je n'ai pas d'autres obligations que celles que je veux bien me donner. Néanmoins je sais mes devoirs que j'ai envers mes amis, mon duché et le Roy de France si vous m'acceptez en votre ordre ! »

Enfin, ses yeux se levèrent légèrement vers le plafond, dans sa réflexion. Il ne voulait pas donner une mauvaise définition à la chevalerie, du moins lui donner celle la plus juste à laquelle il pensait depuis sa plus tendre enfance. Son père lui avait transmis tout ce qu'il savait, vieux chevalier de France qui avait connu des champs de bataille aussi mythiques que déroutants : Crécy, Poitiers, Cocherel, Azincourt, Verneuil... Autant de défaites cuisantes que de victoires, des escarmouches et des duels qui avaient donné un homme d'armes aguerri et bourru. Avait-il suivi la voie paternelle, toute tracée ? S'en éloignant pourtant, il avait pris la route de l'Orient et s'était croisé pour chercher là quelque aventure plus exotique, bien qu'aussi cruelle et sanglante. Était-ce cela l'idéal chevaleresque ? Un fantasme jamais atteint et qui échappait aux gantelets de fer des preux les plus déterminés.

« Je crois sincèrement en l'idéal romancé du cycle arthurien, trouvant qu'il approche le mieux la représentation que j'ai de la chevalerie. C'est une institution qui protège notre société et même tend à vouloir l'améliorer par les codes que les chevaliers respectent dans ces ordres. On ne naît pas chevalier même si on est armé par son père, ou un suzerain, dès son plus jeune âge. On le devient en appliquant les codes qui régissent la prud'hommerie, en protégeant l'Ordre établi par Dieu sur terre et en chevauchant par devant le Roy de France, son lieutenant. »

– Pons... la reprit-il lorsqu'il entendit le sieur en introduction.

« Comment ai-je fait pour vivre ? Mais le Roy de Hongrie, aussi pauvre est-il comparé à son cousin de France, n'en reste pas moins un protecteur pour ses vassaux. Je lui avais rendu hommage et combattais pour lui. Tel était mon souhait lorsque je m'étais croisé quelques années plutôt et pris le chemin de l'Orient. Ce Roy bataillait contre les païens et je n'ai pu que chevaucher à ses côtés naturellement. Quant au Roy d’Égypte et de Syrie, après ma capture par les Turcopoles, j'avais été acheté par celui-ci. Un capitaine aguerri était pour lui une aubaine. Je le servais par dépit, même s'il fut aussi affable que mon précédent suzerain. Il m'offrit même une maison à Alexandrie... Mais lorsqu'il me libéra, je rentrais au pays après vingt longues années passées en Orient. »

Le chevalier s'accouda un instant, frottant son menton entre ses doigts. Ces derniers jouaient avec un fin duvet blond qu'il laissait poussé, parfois. Ses pensées vagabondèrent jusqu'à sa résidence alexandrine où il faisait bon vivre. Le port accueillait bien des nations des Royaumes : des Latins, des Francs, des Grecs, des Provençaux... Il en résultait une culture originale au contact des autochtones, l’Égypte semblait timidement rayonner dans un Proche-Orient qui sombrait doucement dans le chaos.

Ses mains se posèrent sur la table avant de se rejoindre, les doigts s'enlaçant doucement. Du regard, il jugea la baronne qui de ses yeux verts ne le quittaient guère lors de ses questionnements. Depuis son arrivée, Pons n'avait pas vraiment pris le temps de dévisager son interlocutrice comme à ses habitudes. Peut-être était-ce de la déférence, voire de la pudeur... Relevant légèrement son menton, il passa un doigt sur ses lèvres avant de se pincer ces dernières entre l'index et le majeur. Sans la quitter des yeux, il lui dit :

« Depuis mon départ, j'ai essayé de faire coïncider ma vie de chevalier à ma charge de capitaine. Cette dernière aurait pu se confondre à un odieux mercenariat, mais je m'étais croisé. Mon vœu de batailler pour libérer le Tombeau de Christos n'attendait aucune munificence de la part du Roy de Hongrie ou d'un quelconque autre seigneur. Si sa largesse, comme celle du Sultan, fut appréciable pour moi. Je ne suis guère riche et ne souhaite pas plus amasser de l'or. Je n'ai pas de titre, de noblesse – si ce n'est de cœur comme a dit le Prophète – et n'en recherche point. En cela, je n'ai aucune avidité ni ambition si ce n'est servir le Roy de France, si l'Ordre de la Licorne accepte mon allégeance qui sera sans faille ! »