Ce jour-là, Ingeburge s'en revint à Ryes comme la première fois qu'elle s'y était présentée un peu plus de quatre mois plus tôt. Seule. À pied. Avec pour seul bagage une gibecière de cuir. Avec pour seule arme une dague passée à sa ceinture. En provenance d'Arromanches, après une arrivée à Bayeux. Assise sur le sable durci de la plage, elle était restée là plusieurs heures, le vent marin fouettant son visage. Elle avait lu, un peu, sortant de son sac un petit exemplaire du Livre des Vertus. Elle avait prié, beaucoup, parfois à voix haute, le plus souvent en son for intérieur. Et elle avait finalement repris la route, jugeant qu'il était grand temps, si elle voulait pouvoir cheminer et arriver quand il ferait encore jour. Elle avait chantonné des hymnes, une main à sa ceinture, l'autre jouant avec les grains d'un chapelet.
À la différence de novembre, la Danoise se présentait à la forteresse de l'ordre royal de la Licorne en qualité de femme d'armes. C'est en tous les cas comme telle qu'elle était partie et espérait pouvoir revenir. Ce vœu, elle avait osé le formuler après une halte dans la froide pénombre de l'église Saint-Sauveur du bourg de Ryes. Quelques pas dans la cour, et elle serait vite fixée. Mais il fallait déjà franchir la herse.
Le visage encapuchonné d'Ingeburge se leva et durant quelques secondes, elle considéra la tour Hestia où se trouvait le dortoir qui constituait son logis partagé quand elle couchait à Ryes. Son regard pâle rejoignit ensuite la courtine où elle s'était tenue une semaine durant, pour tenir son tour de garde nocturne. Après cela, elle avait quitté la Normandie pour Paris, où elle avait été convoquée à rendre hommage au roi de France, en sa qualité de noble francilienne. Ses devoirs remplis, elle était restée en son hôtel de Bourbon, pour se préparer à entrer en pénitence. Là, elle avait fait savoir à qui il fallait qu'elle s'absenterait quelques semaines. Finalement, après avoir célébré le carême-prenant et le mercredi des Cendres dans la capitale, elle avait gagné ses terres de Dourdan et particulièrement l'abbaye de l'Ouÿe, pour y quitter le siècle.
Le carême n'était pas encore achevé. Elle était là pourtant, comptant ensuite aller à Paris pour y vivre la vigila de Pâques et le dimanche de Renouvellement. La recluse interpella de sa voix rauque :
« Holà! De la garde! »