[RP] Première escale, premières questions

Il l’avait écoutée parler de ses chevaux, rapide et précise comme il l’espérait. Car si Guillaume aimait profondément ces animaux, et les prisait comme peu d’autres, il avait en horreur les longs monologues descriptifs où lui était raconté comment, à trois mois, ce coursier avait manqué se briser les antérieurs ou comment un palefroi savait faire des tours dignes d’un enchanteur de la cour des miracles… Tout sourire dehors, donc, il répondit, avant que la jeune fille ne rejoigne les écuries.

- Cela me semble bien, quoique peut-être un peu léger. Vos chevaux semblent de qualité, mais le risque est plus grand de les voir abattus sous vous que de vous voir mortellement frappée. Il vous faudra donc, j’en suis hélas convaincu, disposer au plus tôt d’un remplaçant à Carnage, si le malheur devait le frapper. Notre haras pourrait y pourvoir, mais je ne doute pas que vos deux duchés vous permettront d’acheter quelque destrier de qualité. Ce sont là les principaux, Souris n’ayant pas, sauf situation que je ne vous souhaite nullement, vocation à courir la guerre, heureusement pour elle. Il vous faudra donc compléter les registres de nos écuries en ce sens, une fois installée en nos murs.

Laissant ensuite la nouvelle écuyère rencontrer les pages des écuries, il en profita pour se remplir les poumons de l’atmosphère si particulière de la forteresse. Puis reçut comme un coup de poignard indigne la première affirmation de sa pupille. Il ne cilla pas, pourtant, mais au terme d’un effort plus grand que rarement auparavant. C’est que, s’il savait combien Rassaln avait pu faillir en tant que père ou qu’époux, il ne pouvait le lui reprocher, ils avaient traversé trop de choses ensemble. Aussi la réponse à sa première salve de question sur sa situation au sein de l’ordre ne se fit-elle guère attendre : « On attend de vous que jamais vous ne nuisiez à l’Ordre, ou à ses membres. Si un différend vous oppose à eux, vous le réglez entre quatre yeux, voire vous sollicitez l’avis du Haut Conseil si l’ampleur de l’affaire le demande. Mais jamais au grand jamais vous n’accusez publiquement l’un d’entre nous, défunt comme vivant. Nos ennemis sont trop nombreux pour que nous puissions nous offrir ce luxe. Et à partir de maintenant, je serai intraitable sur ce point ».

Le ton avait été parfaitement égal, comme si l’affirmation faisait partie du cursus normal de tout écuyer, mais il ne doutait pas qu’elle comprendrait ce qu’il n’avait dit qu’à demi-mot. Il poursuivit donc avec la même expression, quoique avec une voix sonnant peut-être un peu moins sec.

« L’Ordre devenant votre nouvelle famille, vous pourrez évoluer en son sein comme vous le faites avec vos proches. Le tutoiement ou le vouvoiement, l’utilisation de frère, sœur, cavalier, chevalier est laissé à votre totale discrétion. Il n’y a pas de véritable règle, comme vous vous en rendrez compte, bien qu’il me semble que ce soit « frère » et « sœur » qui sont le plus souvent utilisés, pour le moment du moins. Mais gardez-vous bien de donner du duc ou du baron, car ces titres disparaissent entre nous dès que nous devenons membre de l'Ordre. Quant à ce que l’on attend de vous, ma foi, c’est simple et impossible en même temps. Que vous vous donniez toute entière à l’Ordre et à ceux qui le composent, apprenant, enseignant, assistant, vous proposant en fonction des circonstances. Car si notre participation aux guerres est la face la plus visible de notre action, nous ne devons pour autant oublier que nos tâches, à Ryes comme ailleurs, sont multiples. En somme, il faut faire ce que vous vous savez être capable de réaliser et apprendre tout ce pour quoi vous vous sentez des lacunes. Vous voyez, c’est simple et impossible tout ensemble… »

Opinant aux premières phrases de la Tourangelle, il sourit intérieurement. Le reproche que lui évoquaient ces paroles, il l’avait souvent entendu, celui de laisser les jeunes membres de l’Ordre désœuvrés et hésitant, sans directive claire. Il répondait, alors, que c’était à eux de faire montre de leur volonté. Peut-être était-ce trop vouloir ? Peut-être était-ce projeter sur eux des espoirs trop grands ? Il s’était longuement posé la question, tout au long des années qu’il avait passées à Ryes ou en mission aux côtés de ses frères et sœurs d’armes. Et aujourd’hui encore il ne savait pas quelle réponse y apporter. Peut-être Mandorrallen et Ellesya la lui offriraient-ils ? Qui sait ? Ne dit-on pas qu’il ne faut jamais dire jamais ?

Mais déjà elle revenait à sa formation, répondant à l’une de ses remarques.

- Ce qui me paraît « léger », en fait, est le nombre de vos montures, plutôt que leur description. Mais puisque nous sommes d’accord sur ce point, la question est réglée. Vous trouverez parmi l’Ordre, ou en votre parrain, des personnes à même de vous conseiller dans ces achats, si vous le désirez. Et nul ne se vexera de ne pas avoir été consulté avant ceux-ci, le cas échéant, soyez rassurée.

Marquant une petite pose, il laissa son regard voguer quelques secondes, se poser un instant sur le donjon où, il le savait, il devrait bientôt se rendre, puis revint à sa pupille.

« Maintenant que nous avons pris soin de vos montures, il va nous falloir nous occuper de vous. Nous avons en nos murs une infirmerie, que vous voyez ici , fit-il en désignant le dit bâtiment du doigt. Il faut nous y rendre afin de compléter nos registres. Et en chemin, vous me compterez les blessures que vous avez déjà reçues, à la guerre ou en joute ».

Blessures physiques, blessures morales, il n’avait pas précisé. Si l’écuyère en avait déjà subi, il l’ignorait. Mais après tout, il n’y avait pas qu’elle qui devait apprendre à connaître son parrain, le contraire était tout aussi vrai.